Ceux du mercure, 11. Léandre

Le tunnel s’ouvrait à flanc de coteau, déchirure béante dans la roche et les gravats. Léandre Leblanc s’arrêta à l’entrée de la galerie pour étudier les lieux. Les ouvriers avaient bien travaillé. Ils avaient étayé de solides madriers de chêne les parois et le plafond. Si ses calculs étaient justes, au fin fond de cette mine, dans une portion encore non explorée, des gisements de minerai se trouvaient. Du cuivre, du fer, de l’argent, peut-être même du cinabre, s’ils s’avéraient chanceux. Cette pierre rouge, dont on extrayait le mercure, pouvait se revendre pour un prix attractif. L’un des mineurs s’approcha de lui et regarda les ténèbres qui s’enfonçaient dans la montagne.

— Monsieur, pensez-vous qu’il s’agisse d’une bonne idée ? Je veux dire, des explosifs là-dessous…

Le savant l’observa avec une pointe d’agacement. L’ouvrier avait retiré sa casquette et la triturait nerveusement entre ses doigts boudinés.

— Nous allons découvrir de quoi renflouer nos caisses, Albert, j’en ai la certitude. La roche est trop dure pour être creusée, il faut la faire sauter. Et ce dont je suis sûr, c’est que ce n’est pas à un contremaître de critiquer les choix de nos employeurs !

— Oui, m’sieur, pardon, m’sieur, bafouilla Albert en battant en retraite.

Léandre reporta son attention sur la galerie. Ils couraient bien sûr un potentiel danger. Ils couraient toujours un danger dans les mines. Sa compagnie avait néanmoins besoin d’argent, les grands patrons s’étaient montrés parfaitement clairs, et un filon se trouvait là-dessous, l’ingénieur en détenait la conviction.

Avec un soupir, il enfila son casque. Il vérifia qu’il transportait sa sacoche avec ses instruments de mesure, que sa boussole et son baromètre étaient bien suspendus à sa ceinture et que les hommes qui l’accompagnaient emportaient un canari dans une cage pour les prévenir des émanations de gaz toxiques. Entre les failles et les coups de grisou, prudence était mère de sûreté.

— Descendons, ordonna Léandre.

En tant que chef de chantier, responsable des explosifs, il lui appartenait d’inspecter les galeries. Éclairés par des lampes de mineurs, ils s’engagèrent dans les boyaux enténébrés. Léandre avait beau avoir accompli ces gestes des dizaines de fois, il ne pouvait s’empêcher de ressentir un profond malaise. Quelque chose n’allait pas.

Autour de lui, les autres jetaient des œillades inquiètes. Les flammes projetaient sur les parois des ombres déformées. Ils suivirent le lacis de tunnels jusqu’à un pan de mur, où s’arrêtait le chemin.

— Finissons-en, déclara Léandre.

Il lui tardait de remonter à la surface pour revoir le soleil. Lui et ses assistants se mirent rapidement à l’ouvrage, personne n’éprouvait l’envie de s’éterniser dans ce trou.

Le temps semblait s’étirer, tandis que Léandre prenait ses mesures, calculait où placer ses charges. Son front luisait de transpiration. Ses yeux fatiguaient. La lumière des lampes ne lui valait rien. Un choc sourd troubla soudain le silence affairé du souterrain. Léandre releva la tête.

— C’était quoi ça ? s’exclama Albert.

Pour toute réponse, le bruit résonna de nouveau. Léandre sentit une sueur glacée dégouliner le long de son dos, car à sa connaissance, aucune autre équipe ne travaillait dans cette partie de la mine.

— Sortons, ordonna-t-il.

Personne ne se le fit dire deux fois. Ils remballèrent leur matériel. Alors que le groupe remontait les tunnels, un grondement retentit, les figeant net. Le cœur de Léandre s’emballa. Ce râle n’était pas humain.

— M’sieur, vous avez entendu ? gémit Albert. C’est… C’est une Bête de la Nuit, non ?

— Ne soyez pas stupide ! Les failles ne s’ouvrent pas sous terre ! rétorqua Léandre, avant d’accélérer le pas.

Il mentait. Les failles s’ouvraient rarement sous terre. Ils se mirent à courir. Les rugissements se rapprochèrent. La panique gagna Léandre, son champ de vision se rétrécit, seules comptaient maintenant la galerie et la promesse du retour à l’air libre.

Les cris étaient de plus en plus proches. Léandre n’osait regarder derrière lui. Il percevait le souffle rauque des Bêtes. L’un des mineurs hurla. Elles les avaient rattrapés.

La terreur envahit l’ingénieur. Il détala avec l’énergie du désespoir. S’en aller le plus loin possible ! Il s’engagea dans un passage. Il n’avait aucune idée d’où il menait.

Sa fuite fut stoppée par un choc brutal qui le jeta au sol. Le savant releva la tête pour découvrir un Masque se tenant devant lui. La classe quatre saisit le déguisement qui lui dissimulait la figure et commença à le retirer. L’homme chercha à détourner les yeux, une force l’en empêcha. L’Abomination ôta son masque et lui montra son vrai visage. Léandre hurla.

— Monsieur Leblanc, veuillez vous rhabiller tout de suite !

L’intéressé ne l’écouta pas, il s’enfuit aussi vite que ses jambes le lui permettaient. Ses pieds nus claquaient sur le carrelage froid des couloirs de la maison de repos. Derrière lui, une infirmière grassouillette s’essoufflait à le poursuivre. Elle ne l’attraperait pas. Il caqueta d’un rire ironique.

Il bifurqua à droite à un croisement et se retourna pour vérifier si la grosse le suivait. Il percuta un obstacle et tomba au sol. Des images l’assaillirent alors, une galerie obscure, la silhouette d’une Abomination. Léandre se recroquevilla en pleurant. Une main se posa sur son épaule. Il osa relever la tête, pour découvrir un homme qui le regardait avec un sourire. Lui aussi était totalement nu, mis à part un haut-de-forme.

— Je suis venu voir un ami avec ma belle-sœur et mon jeune neveu. Il a six ans, il est adorable, déclara-t-il. J’ai vécu un temps dans ce genre de maison. Maintenant, je vis dans un dirigeable. Enfin bref, tout ça pour dire que je pense que se promener sans vêtement dans les couloirs, c’est drôle. Vous savez quoi, je crois que ce serait encore plus rigolo nous le fassions ensemble. Ça vous tente ?

Il tendit la main à l’ancien ingénieur. Celui-ci hésita quelques secondes, avant de l’attraper.

— Je suis Maximilien Rocheclaire.

— Léandre Leblanc.

— Ah, enfin je vous trouve ! Mais, ooooooooh ! Rhabillez-vous !

Les cris de l’infirmière interrompirent les présentations. Maximilien Rocheclaire adressa un clin d’œil à son nouveau camarade, et ils déguerpirent en courant, riant comme des gamins. Oui, plus amusant à deux, pour sûr.

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