Ceux du mercure, 12. La prédiction

Les bottines à talons d’Erika claquaient sur les pavés de la rue. Une légère bruine tombait, drapant d’une brume fantomatique les silhouettes sinistres des baraques et entrepôts. L’air était gorgé d’humidité et charriait des odeurs déplaisantes : métal rouillé, bois pourri, poisson en décomposition. Erika avait hâte de laisser derrière elle Dunwich et sa laideur.

Herbert et Wilbur marchaient derrière elle, les bras chargés de ses volumineux bagages. Ils échangeaient quelques paroles, la mine maussade. Le colosse jetait des coups d’œil nerveux, comme si une faille allait s’ouvrir d’un moment à l’autre dans l’un de ces murs gris. La chose n’était hélas pas impossible. Malgré le danger potentiel, aucun d’entre eux n’avait envie de quitter l’Austrénie pour se rendre à Kerys. L’Ange seul savait ce qui les attendait là-bas !

Ils traversèrent le port de Dunwich et obliquèrent en direction d’une haute tour à laquelle était arrimé un dirigeable. Le départ était proche, ils pressèrent le pas.

— À votre bon cœur mam’zelle !

L’appel arrêta Erika, elle tourna la tête pour découvrir un vieux bonhomme, emmitouflé dans une couverture rapiécée. Il lui sourit, dévoilant une bouche édentée.

— Un aussi joli brin de fille que vous a sûrement un peu d’monnaie pour un pauvre gars comme moi, dit-il d’une voix pâteuse.

Erika avisa à ses pieds une bouteille de mauvais vin rouge enveloppée dans un journal.

— Un sou, déclara-t-elle, mais vous me promettez de ne pas le boire. Ou alors de choisir autre chose que cette infâme piquette.

Elle fouilla dans son aumônière et en sortit une dizaine de piécettes de cuivre qu’elle donna au clochard. Son visage s’illumina.

— Ça pour sûr, vous êtes une chic fille. Pour la peine, je vais vous prédire votre avenir !

Erika éclata de rire à ces mots.

— On va être en retard, grommela Herbert.

— Deux minutes, répondit-elle. Eh bien, vieil homme, révèle-moi ce que le futur me réserve.

Le mendiant rejeta la tête en arrière et fixa les nuages.

— Vous vous rendez par-delà les mers ! Vous y rencontrerez un bel inconnu, grand, brun, charmant. Vous vous battrez d’abord, mais vous tomberez amoureux ensuite !

— Jusque là, le programme me convient, commenta Erika.

— Puis, vous combattrez des ennemis redoutables ! Des Abominations puissantes et très dangereuses.

— Rien que de très habituel.

— Vous serez en danger, un péril comme vous n’en avez jamais connu !

— Ah, mon futur se gâte.

— Vous voyagerez dans un autre monde ! Un monde étranger, pas comme le nôtre ! Puis dans un autre, qui ressemble à Kerys, mais où une immense tour de métal se dresse vers le ciel ! Un endroit où les républiques, les rois et les empires se succèdent ! Vous vous y rendrez pour sauver l’Austrénie et tous les autres pays !

Erika coupa d’un geste les élucubrations de l’homme.

— Merci, je crois que je préfère ignorer mon avenir. De toute manière, mon dirigeable ne va pas m’attendre éternellement.

L’Austrénienne et son escorte s’éloignèrent. Le mendiant lui cria un dernier avertissement.

— Méfiez-vous de tout le monde !

— Merci du conseil, répondit Erika.

Wilbur grommela quelque chose de peu flatteur à propos des vieux fous abusant de l’alcool.

— Tu crois à ces sornettes ? demanda Herbert.

Erika haussa les épaules.

— Non. On verra bien ce que le futur me réserve…

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