Je vois souvent passer sur les réseaux sociaux des débats entre architecte et jardinier au niveau de l’écriture.
Pour information, les termes ont été définis par George Martin, auteur du Trône de fer, pour définir deux types d’écrivains.
“I think there are two types of writers, the architects and the gardeners. The architects plan everything ahead of time, like an architect building a house. They know how many rooms are going to be in the house, what kind of roof they’re going to have, where the wires are going to run, what kind of plumbing there’s going to be. They have the whole thing designed and blueprinted out before they even nail the first board up. The gardeners dig a hole, drop in a seed and water it. They kind of know what seed it is, they know if planted a fantasy seed or mystery seed or whatever. But as the plant comes up and they water it, they don’t know how many branches it’s going to have, they find out as it grows.”
Voici une traduction de la citation par votre serviteur :
« Je pense qu’il y a deux catégories d’écrivains, les architectes et les jardiniers. Les architectes préparent tout à l’avance, comme un architecte construit une maison. Ils savent combien de pièces aura la maison, quel type de toit elle aura, où se trouverons les câbles et quel type de plomberie elle aura. Ils ont conçu et ont les plans de tout avant même de planter le premier clou. Les jardiniers creusent un trou, plantent une graine et l‘arrose. Ils savent quel type de graine ils ont planté, si c’est une graine de fantasy, d’enquête policière ou autre. Mais quand la plante sort et qu’ils l’arrosent, ils ne savent pas combien de branches elle aura, ils le découvrent au fur et à mesure qu’elle grandit ».
En gros, l’architecte est celui qui va créer les plans de sa maison avant de la construire. Le jardinier, lui, plante une graine et voit ce qui va sortir.
A noter qu’architecte et jardiniers sont parfois appelés « plotter » et « plantser » sur les sites anglo-saxons.
J’entends souvent que tel archétype est supérieur à l’autre, parce que plus efficace ou plus intuitif. On va d’abord poser quelque chose qui me semble important de rappeler : ce n’est pas mieux d’être architecte ou jardinier, c’est différent.
Je suis architecte, j’ai besoin de construire mon plan à l’avance pour savoir où je vais, sinon je bloque, je procrastine et je finis par laisser tomber. A l’inverse, je connais pas mal de jardiniers qui ont l’impression d’être enfermés par des plans et qui ont arrêté d’en écrire parce que de toute manière, ils ne les respectent pas.
Vous êtes architecte ou jardinier, aucun des deux n’est supérieur à l’autre, c’est juste une manière différente d’aborder l’écriture.
Chaque méthode a pour moi ses avantages et ses inconvénients
Architecte :
Les avantages
— On sait souvent de manière assez précise où on va en terme de longueur.
— Faire des fiches, c’est plus pratique pour travailler et éviter de perdre des détails.
— On peut faire relire sa trame en amont à des bêta lecteurs pour éviter les gros plantages.
— C’est plus simple pour vendre un projet à un éditeur (qui demande souvent d’avoir les trames préparatoire des romans suivants quand on part sur une série. L’éditrice de Au Loup m’a avoué que pour Aiden Jones, le fait que j’ai déjà la trame pour les deux tomes suivants a joué dans la signature du contrat).
Les inconvénients
— Il est facile de se perdre dans sa trame. On procrastine en raffinant une trame qui est déjà très complète, au lieu de l’écrire.
— Si l’on suit sa trame sans écouter son histoire, et qu’on refuse de dévier, on peut très facilement aller dans le mur. On peut aussi vite paniquer quand on sort de la trame et qu’on se rend compte que ce qu’on avait prévu ne fonctionne pas.
Jardinier :
Les avantages
— L’histoire est très souvent organique : elle a « poussé » de manière naturelle, les personnages ont une bonne cohérence.
— Si les jardiniers se prennent tout autant la tête que les architectes sur les textes, ils ont souvent un rapport plus spontané avec l’écriture et leurs histoires. On écrit, on se laisse porter, et il y a souvent de jolies surprises.
Les inconvénients
— On peut parfois se perdre dans son histoire et se retrouver face à un mur, sans savoir comment on est arrivé là et comment on s’en sort.
— La mémoire humaine est faillible, on oublie souvent des détails de l’histoire (noms de personnages, apparence physique…).
— On a beau savoir ce qu’on veut faire avec son histoire, les éditeurs veulent du concret et souvent un plan.
De plus, on n’est jamais totalement jardinier ou totalement architecte. Pour moi, on a une dominante, mais on n’est pas 100 % l’un ou 100 % l’autre.
Je reprends comme exemple mon humble personne (la tête, ça va. Par contre, les chevilles sont un peu à l’étroit dans mes Dr Martens).
Je suis architecte pour le plan général de l’histoire, mais j’ai remarqué que je suis totalement jardinière sur des éléments précis. Par exemple, je sais que les personnages doivent aller d’un point A à un point B, mais je ne sais pas comment, ou ce qui va leur arriver. Je ne sais pas exactement à quoi ressemblent les lieux avant de les écrire, et je découvre souvent des tics et des manies des personnages.
Rachel Fleurotte qui est plutôt jardinière dans l’âme, fait quand même une tonne de recherches avant tout roman, notamment sur sa dernière série, Les mystères de Joux, parce que c’est une uchronie et qu’il faut être parfaitement au point sur les détails historiques.
Une amie autrice, Hermine Lefebvre m’a récemment parlé d’une catégorie d’auteurs qui se définissent comme paysagistes ou randonneurs.
En gros, cette troisième voie se situe entre les deux. Un paysagiste va être plutôt un jardinier, qui décide de “treiller” un peu son oeuvre en amont (avec une trame générale, ou des fiches de personnage par exemple) ou bien un architecte qui décide de partir un peu à l’aventure sur un pan de son oeuvre.
De plus en plus, je me reconnais dans cette voie et je croise des gens sur les réseaux sociaux à qui ça parle.
D’ailleurs, je trouve que cette charte résume assez bien la diversité des profils
Je suis actuellement en train d’écrire un roman en mode total jardinier : sur un carnet, on y va comme ça vient, un peu à l’arrache. Je ne sais pas où ça va me mener et si même ça va donner quelque chose d’exploitable, mais je teste.
Pour résumer, il n’y pas de méthode supérieure à l’autre, chacune se valent et vont mieux correspondre à un type de personne. Je pense néanmoins que rien n’est vraiment figé, qu’on évolue au fil de sa carrière et qu’il ne faut pas se cantonner à ce qu’on pense être. Changer de méthode pour un roman, une nouvelle, ou tout simplement pour écrire une scène, ça peut permettre de débloquer un passage. C’est aussi une manière de ne pas rester dans sa zone de confort et d’évoluer.
J’ai du mal avec ces deux « cases ». Parce qu’effectivement, on cherche pas mal à comparer l‘une à l‘autre, à déclarer qu’être ceci ou cela, c’est mieux ; et parce que j’ai l’impression d’avoir un pied dans les deux et aucune à la fois. J’ai énormément d’archives, plans, fiches personnages, mais pas seulement. Je peux retracer l’histoire quasi intégrale de mon univers par grandes étapes, j’ai des cartes de beaucoup de choses, des légendes à foison, des arbres généalogiques… Bref, j’ai une trace de tout. Et pourtant… Je n’ai JAMAIS réussi à suivre un plan de chapitre : il y a toujours un moment ou mes personnages partiront plus à droite ou à gauche, ou il surviendra un événement imprévu, et où je préférerais me rendre là où il faut par un autre chemin. Quand je ne change pas carrément de destination.
Les cases, je crois que personne ne rentre vraiment dedans. Elles rassurent ou bien elle inquiète. Parfois, malheureusement, on en use pour juger ou rabaisser, mais en fin de compte, je suis parfaitement d’accord : il ne s’agit que de deux extrêmes et tous les auteurs se situent quelque part plus ou moins au milieu.
Les cases, j’ai l’impression que ça rassure certaines personnes. Notamment au début. Quand j’ai commencé à écrire, ça me rassurait de savoir que j’étais une chose ou une autre.
Maintenant, je suis beaucoup plus détendue avec ça, et j’ai l’impression que j’ai évolué dans ma méthode de travail et mon rapport à l’écriture. Qui sait, un jour, peut-être que je jardinerai complètement ^^